Anciennes carrières de granit

Granite en Morvan

(Extrait du dossier du Magazine « Vents du Morvan » – N°58 – Printemps 2016)

Avec l’aimable autorisation de la rédaction du magazine « Vents du Morvan »

Vents du Morvan a déjà beaucoup parlé des carrières, de leurs exploitations et de leur histoire, il manquait cependant un article sur les carrières de granite et l’extraction des pierres de construction. La région de La-Roche-en-Brenil et Saint-Germain-de-Modéon a eu ses heures de gloire dans ce domaine et il eût été dommage de ne pas « creuser » cet important volet de l’histoire de notre pays.
Wikipédia définit le granite de la façon suivante : Le granite est une roche plutonique magmatique à texture grenue, cette texture étant à l’origine de son nom dérivé du latin granum, grain. Le granite est le résultat du refroidissement lent, en profondeur, de grandes masses de magma intrusif qui formeront le plus souvent des plutons, ces derniers affleurant actuellement en surface grâce au jeu de l’érosion qui a décapé les roches susjacentes.
Ces magmas acides (c’est-à-dire relativement riches en silice) sont essentiellement le résultat de la fusion partielle de la croûte terrestre continentale. Ses minéraux constitutifs sont principalement du quartz, des micas (biotite ou muscovite), des feldspaths potassiques (orthoses) et des plagioclases. Ils peuvent contenir également de la hornblende, de la magnétite, du grenat, du zircon et de l’apatite. En tout, on dénombre aujourd’hui plus de 500 couleurs de granite différentes. Beaucoup d’affleurements de granite sont connus en Morvan, pour n’en citer que quelques- uns : les roches de Velée, les roches de Glenne, le rocher du chien à Saint-Brisson, les rochers de Carnaval à Uchon, le rocher du Cousin… Les « pierres de légendes » ont fait couler beaucoup d’encre et beaucoup de secrets planent autour d’elles, croyances, légendes, histoires de hameaux, fouilles historiques n’ont pas encore tout révélé, les pierres gardent leurs mystères : la pierre des Bordes, le dolmen de Chevresse, les menhirs d’Epoigny (Saint-Emiland), la griffe du diable, la pierre qui croule, le Poron-Meurger… Ces lieux étaient et sont souvent encore des lieux de rencontres, des points caractéristiques sur les itinéraires de promenades, chacun imagine l’ambiance et l’histoire de ces sites à sa façon, l’imaginaire peut encore fonctionner et c’est certainement mieux comme cela.

Le Granite, pierre du Morvan

Daniel Parot nous raconte ses souvenirs et la façon dont travaillait son père dans les carrières de La-Roche-en-Brenil et Saint Germain-de- Modéon (Côte d’Or). « Mes ancêtres, originaires de la Creuse à côté de Guéret, sont venus en Morvan à l’époque pour construire les grands édifices en granite. Les maçons et les tailleurs de pierre travaillaient très souvent ensemble. J’ai retrouvé des traces du travail de la famille sur Corbigny, sur la construction de l’église de Saint-Léger-de-Fourche et de l’église de Dun-les-Places. Il y a une rue Parot à La-Roche-en-Brenil. Mon père Louis Parot était un des hommes de confiance d’Henri Martin qui avait ouvert la carrière du Bon Jean et son oncle Henri Parot avait ouvert une carrière au Bon Jean sur La-Roche-en-Brenil. Beaucoup de carrières étaient sur la commune de La-Roche, mais la majorité des ouvriers habitaient Saint-Germain-de- Modéon ».

Les pierres en granite ont bien des qualités le granite est très dur, ne s’effrite pas et est non gélive car il ne se fissure pas, il passe l’épreuve du temps mieux que beaucoup d’autres roches. Le granite local, en grande partie gris bleuté, parfois rosé était utilisé partout, les pierres taillées partaient pour Besançon, Limoges etc.
Vers la fin du XIXe siècle plus de cent ouvriers, dont une grande partie étaient des Italiens. travaillaient sur les carrières du Bon Jean, dont une grande partie étaient des Italiens. Dans les carrières, on taillait également des pavés de rue pour toute la Bourgogne et même pour Paris ainsi que beaucoup de bordures de trottoirs, des auges, des bornes… Daniel Parot dit : «Mon père taillait beaucoup de pavés, il avait acheté une machine à tailler les pavés, mais comme il allait plus vite à la main, il l’a peu utilisée. Un bon tailleur de pavés pouvait en tailler 200 par jour. »

On peut distinguer deux époques :

– L’époque manuelle où tout se faisait à la main, avec des outils rudimentaires. Les hommes travaillaient très dur et dans des conditions difficiles, ils devaient manipuler les blocs (le granite a une densité de 2,7, ce qui veut dire qu’un bloc d’un m3 pèse 2700kg, un des accidents les plus fréquents était l’écrasement des doigts sous un bloc. Le granite est une des roches les plus dures, ce qui veut dire que pour la découper, la fendre ou la tailler, on utilisait des outils lourds, durs et il fallait taper, taper, taper… La poussière contenant de la silice et les excès de tabac encombraient les poumons des ouvriers qui pour la plupart mouraient jeunes (à l’époque, pas de masques, pas d’aspirations…) Les ouvriers de carrières n’avaient pas du tout les mêmes syndicats que dans les mines et bien souvent, ils avaient également la ferme, souvent gérée en grande partie par la femme. Les tailleurs étaient payés à la pièce taillée ou à la benne remplie, ils consignaient chaque jour leur travail sur un petit carnet. « Pas de rendement, pas de salaire ! ».

– L’époque mécanisée qui bénéficie de la motorisation et des compresseurs. L’air comprimé permet aussi l’utilisation des marteaux piqueurs qui, équipés de mèches de différentes longueurs, permettaient de faire plus facilement des forages dans lesquels on introduisait des explosifs pour découper les gros blocs. « L’air comprimé et les mèches au carbure ont certainement été les axes de progrès les plus importants ».
Daniel Parot explique que lorsqu’il était enfant, il tenait avec son père une lance à découper qui fonctionnait au fuel, un véritable lance- flamme : il faisait fondre la roche qui partait en poussière. Ce procédé était capable de découper sur plus d’un mètre de profondeur. Il s’agit certainement du procédé « Oxy-fuel ». D’après Roger Pellicioli, il s’agissait de chalumeaux Hignard fabriqués en Bretagne (vers St-Malo).
Plus tard, on a aussi utilisé le flammage qui consiste à soumettre la surface de la roche au passage de la flamme très chaude d’un chalumeau, ce qui provoque l’éclatement des cristaux du dessus et l’acquisition d’un état de surface rugueux. De nombreuses roches dures utilisées en voirie sur les sols en plein air et les trottoirs sont ainsi traitées par flammage (Gérard Chopard).
Daniel Parot précise que les blocs découpés pesaient 50 à 100 tonnes, ces blocs étaient ensuite partagés pour partir en scieries. En scierie, on coupe avec un « fil au carbo », c’est de la poudre de carbure qui tombe sur un fil mouillé en permanence. Mais il faut une semaine pour descendre une plaque alors qu’avec du calcaire, il faut environ 5 fois moins de temps.
Il y avait des spécialités dans le métier : les épinceurs étaient ceux qui taillaient les blocs, se servant des coins,broches, massettes, barres à mine (paufer en patois) et par la suite des marteaux piqueurs et de la poudre noire ; les tailleurs de pierre, eux, refendaient les blocs et façonnaient les produits finis ; d’autres étaient manoeuvres ou s’occupaient du transport.

Les outils du carrier

Les burins, coins, broches étaient façonnés sur place, chaque carrière avait une forge. Il fallait du bon acier, généralement de l’acier rapide qui était acheté souvent chez Cordin (la quincaillerie de Saulieu). Le forgeage et la trempe se faisaient plutôt le matin. Après, il faisait trop chaud (Roger Pellicioli). Plus tard, l’arrivée du carbure a facilité le travail.
La boucharde : servait à aplanir les pierres de taille. Il s’agit d’un gros marteau carré lourd sur lequel on pouvait
monter des têtes avec plus ou moins de pointes en fonction du niveau de finition. Il y avait des 9, 36 et 64 dents (Roger Pellicioli).
La barre à mines : en patois, on disait le « paufer » (pieu en fer ? ) ; il avait un côté pointu comme une barre à mines classique et de l’autre côté, un renvoi en forme de pied de biche permettant de faire levier.
La pioche Montoise : Dans la région, on disait « pieuche montouaise ou pieuche montoise » Cette pioche était utilisée par les ouvriers du Piémont employés au XIXe sur les chantiers de voies ferrées (d’où son nom). On retrouve son utilisation dans le manuel des routes et des chemins vicinaux de 1835. « Dans un terrain dur ou pierreux, on se sert de la pioche montoise, qui est terminée d’un côté par une pointe très solide,
nommée pic, et de l’autre par un taillant à l’aide duquel on enlève les terres moins consistantes ou déjà ébranlées.
» Il est fort probable que les ouvriers Italiens venus travailler dans les carrières aient apporté cette pioche dans la région.
Les rouleaux et les treuils : Pour déplacer les blocs de pierre de plusieurs tonnes, on utilisait des rouleaux en bois ou en métal dont il fallait pouvoir contrôler la rotation. On a utilisé par exemple des anciennes bouteilles d’oxygène percées aux deux extrémités pour pouvoir y introduire des barres destinées à faire rouler, mais aussi à retenir. Les treuils installés aux endroits stratégiques permettaient de tirer les blocs.

Roger Pelliciolli, ancien carrier

Le ton est donné d’entrée : « Dans les carrières, c’était le bagne ; au fond du trou, les gars étaient payés au wagonnet, les costauds étaient bien avantagés, car ils chargeaient des plus gros blocs ; en été l’outil nous brûlait les mains, en hiver, la peau restait collée dessus » lance Roger qui se rappelle très bien l’époque où il faisait partie des ces endurcis qui luttaient à longueur de journée pour extraire, transporter, tailler… ce granite si dur et si lourd. « on a aussi de bons souvenirs, quand la famille est arrivée en France, le grand père avait 14 ans, on s’est installé, le travail était dur, mais il y avait une ambiance sympathique, personne ne tirait au flanc.»
Je demande alors comment on arrachait les blocs à la falaise.
« Au début (mais je n’ai pas connu), on creusait des trous dans lesquels on mettait des coins de bois qu’on arrosait, c’est le gonflement du bois qui éclatait la pierre, les trous étaient faits au burin, à deux (un qui tenait et un qui tapait à la masse). A cette époque, il fallait faire attention à l’emplacement des trous, il fallait connaître le fil de la pierre qui est à plat, suivant le sol et la pente du terrain » Je regarde le bloc que Roger me montre dans son jardin et il me fait voir le fameux fil que je n’aurais jamais remarqué tout seul. Je demande alors à Roger de m’expliquer comment lui travaillait. « Moi, j’ai connu le temps des compresseurs, de la poudre noire, on faisait des trous au marteau-piqueur avec des mèches de plus en plus longues, ensuite, on passait une mèche à rainurer pour donner le sens d’éclatement. Les mineurs, ceux qui avaient fait les formations,
posaient la poudre noire et faisaient péter, si le bloc était bien préparé (bien strié), il se séparait bien droit.» Roger fait le tour de la grange et me montre l’ancien compresseur de la carrière, et qui fonctionne encore. Un Atlas Copco type NT9 avec les cylindres apparents. « ça et les mèches au carbure ça nous a bien facilité le travail »
Et pour les transports ?
« pas sérieux s’abstenir, le déplacement des blocs était certainement le plus dangereux et le plus délicat, on faisait avancer sur des rouleaux, mais il fallait contrôler l’avance et le freinage (treuils, barres à mines, amarrages…) il fallait faire tourner les rouleaux à la même vitesse… Les moments d’inattention pouvaient coûter une main ou un pied écrasé. Dans certaines carrières, il y avait des Derricks, sortes de portiques qui permettaient de sortir les pierres de la carrière »
Et les contrôles ? « pour les marbreries, il fallait livrer des blocs sans poil (cassure naturelle), on versait de l’eau sur la pierre, le trait de cassure restait noir.»
Et les tailleurs de pierre ?
« leur boulot, était de tailler aux bonnes dimensions en fonction des commandes, il fallait refendre les blocs, taper, casser, boucharder… Dans la
région, on fabriquait beaucoup de pavés pour les rues ou les routes, il y avait des mosaïques de 10 X 10 X10, des bâtards de 14 X 14 X 14 et des boutisses de 21 X 14 X 14, c’était payé à la tonne. On a également beaucoup fabriqué des bordures de trottoirs, avant le béton et le bitume qui ont été un gros facteur de déclin des carrières. Certains travaillaient avec des massettes rondes ( les écrasous de truffs) il fallait tourner la massette régulièrement pour qu’elle s’use tout autour »
Boucharder, ça consistait en quoi ?
« les bouchardes étaient des massettes auxquelles on fixait des têtes striées en métal dur, il y avait des têtes à 9, 36 et 64 dents, en fonction de l’avancement et de la qualité de surface demandée. Avec un peu de métier, on arrive à faire des surfaces très planes. Après, on a eu une machine à boucharder, c’était moins dur pour les coudes.»
Et maintenant ?
« c’est dommage que tout cela ait disparu, c’était une belle époque et on fabriquait du solide. »

Le café de Paulette à Chênesaint

Paulette tenait le café de Chênesaint (Chêne Saint à l’époque des carrières) « on va boire un coup chez Paulette ? » combien de fois cette phrase a pu résonner dans le monde des ouvriers des carrières? Sans doute des milliers de fois. Chez Paulette, il y avait un bar, des fêtes, de bons repas, grâce à son jardin et aux lapins qu’elle élevait… et beaucoup d’hommes, surtout les jours d’acompte et de paie. Le matin, les gars passaient prendre le litre et la gamelle, que Paulette avait préparés. L’après–midi, c’était les apprentis qui passaient chercher les litres pour les emmener aux compagnons.
Paulette cite des anecdotes sympathiques « à l’époque, on vendait le vin au litre, par la suite la Stella, au litre aussi. J’avais des clients qui commandaient le matin un litre avec deux verres, le copain ne venait jamais, mais le litre se vidait quand même !» ou encore « les jours de paie, les hommes ne rentraient pas facilement, quelquefois, les femmes passaient récupérer de l’argent avant que tout ne soit dépensé, elles en profitaient
pour me passer un savon, mais je n’y pouvais rien ! )»
Et l’ambiance alors ? « Quand les gars venaient chez moi après le travail, c’était la récré, il y avait de l’animation, surtout les discussions entre chasseurs, mais jamais de grosse bagarre, et ils étaient toujours corrects avec moi, on fermait quelquefois à minuit…

Les carrières Costa

Guy Costa raconte que dans la carrière de son père , il en sortait surtout des pierres de taille pour la construction des édifices, mais aussi des bornes kilométriques et hectométriques, et autres matériaux de voirie. Guy est parti jeune, travailler ailleurs et il a peu de souvenirs
des carrières, mais il se rappelle que tout gamin, il portait les litres de vin pour « alimenter » les carriers. La carrière à l’époque employait 6 ou 7 personnes et taillait des pierres qui partaient jusqu’à Lyon, Lille… Les Statues de Sainte-Magnance (21)
C’est sur la propriété de Guy Costa, qu’ont été sculptées en 2008 dans un bloc de granite sorti des carrières de son père, les statues de saint Germain et de sainte-Magnance qui se dressent fièrement au bord de la nationale 6 à la sortie sud de Sainte-Magnance (21). C’est grâce à Lucienne Picard, habitante de Sainte-Magnance qui, à sa mort, a demandé et financé cette magnifique oeuvre d’art, érigée à l’emplacement d’une ancienne chapelle détruite au XVIIIe siècle. La taille des pierres a été réalisée par Stéphane Dupaquier, les sculptures par François Rouillot et l’aménagement par Frédéric Grossette. Le tout sous la maîtrise d’oeuvre du diocèse de Sens-Auxerre et de la paroisse de Sainte-Magnance.
De loin, les statues semblent communes, mais il faut prendre le temps de s’arrêter pour admirer le travail et imaginer le nombre d’heures qu’il a fallu passer pour arriver à ce résultat.

Les carrières Chopard

De belles pierres de taille sortaient des carrières Chopard.
Le piédestal de la statue de Vercingétorix à Alésia qui supporte actuellement la statue de Vercingétorix réalisée par le sculpteur Alain Millet vient de la carrière Chopard du Bon Jean. Le piédestal précédent venait également des carrières locales ; le bulletin paroissial de 1951 précise qu’il avait à l’époque fallu 18 paires de boeufs pour le mettre en place.
Marc Hénard venait tailler dans les carrières de roger Chopard
Les tympans de la pierre qui vire et bien d’autres belles pièces sont sorties des carrières Chopard. Gérard raconte à Vents du Morvan « Enfant, je me souviens de Marc Hénard, il était très ami avec mon père ».

La fin des carrières de taille

Les dernières activités des carrières locales se situent vers 1995, il y a à peu près vingt ans.
Certains pensent que la faute est en partie liée aux « écolos », qui étaient toujours réticents à l’ouverture d’une carrière, d’autres disent que les jeunes ne veulent plus faire de travail aussi dur. Il est clair que la technique du béton et des bitumes a remplacé les pavés et bordures. La concurrence internationale n’est pas en reste, malgré les coûts de transports, on arrive à trouver du granite chinois moins cher…
Alors la nature reprend ses droits ; lors de visite des anciennes carrières arrêtées depuis 20 ou 30 ans, il est étonnant de voir à quel point la végétation a repris le dessus : la moindre fissure, le moindre tas d’éboulis sont colonisés et il est même quasiment impossible d’aller jusqu’au front de taille de certaines.

Jean-Claude Seguin

Transporteur qui a travaillé avec les carrières, où son père avant lui avait déjà commencé en 1948 avec son oncle. « On chargeait des bornes de remembrement et des bordures de trottoirs pour les villes (Chalon sur Marne, Dijon, Limoges… Les bordures de trottoir faisaient 1m de long, 30cm de haut et 20 cm d’épaisseur (environ 170kg).
Pour la Marne, c’était particulier, on faisait des bordures plus grosses et plus profondes (terre). Les pavés, c’était surtout pour Paris. Pour tailler, les gars travaillaient sur des demi tonneaux coupés en long et remplis de gravats.
Entre les deux guerres, il y a eu jusqu’à 140 tailleurs de pierre dans la région. Mon père arrivait en retard quelquefois, avec son camion, et pour se faire pardonner, il apportait deux litres de vin, c’était le passeport universel qui faisait accepter beaucoup de choses ».